This is a reproduction of a library book that was digitized by Google as part of an ongoing effort to preserve the information in books and make it universally accessible.

Google books

https://books.google.com

Google

À propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en ligne.

Ce livre étant relativement ancien, 1l n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression “appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont trop souvent difficilement accessibles au public.

Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

Consignes d’utilisation

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.

Nous vous demandons également de:

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers. Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un quelconque but commercial.

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. S1 vous effectuez des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en aucun cas.

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère.

À propos du service Google Recherche de Livres

En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le frangais, Google souhaite contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer

des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http : //books.gqoogle.com

LS ns

Dig Itize re! PN\ 6 V

_— 2

L. |

Digitized by Google

L'ANJOU HISTORIQUE

PARAISSANT TOUS LES DEUX MOIS

à partir du mois de Juillet de chaque année

ONZIÈME ANNÉE

ANGERS

J. SIRAUDEAU, Imprimeur-Éditeur 2, Rue de l’Aiguillerie, 2 e

1910

L'ANJOU HISTORIQUE

PARAISSANT TOUS LES DEUX MOIS

Fondé au mois de Juillet 1900

PRINCIPAUX COLLABORATEURS

Duc de la TRÉMoïiLLE, membre de l’Institut ; lieutenant-colonel Marquis d'ELBÉE; Comte CH. de BEauMoNT ; Comte de SOUANGÉ ; Comte de GUENYVEAU. | |

Abbés (CALENDINI, (CHARNACÉ, (CHASLES, GRIMAULT, HAUTREUX, HOUDBINE, LEDRU, MiICHAUD, MOREAU, POIRIER, RONDEAU, RoOULLET, UZUREAU.

Dom BESsE, dom GUILLOREAU et dom LaNDREAU, bénédictins ; P. UBaup. capucin ; MM. LErOURNEAU et LÉVESQUE, sulpiciens.

MM. BAGUENIER-DESORMEAUX, BIrraARDb des PORTES, CAMELOT, COCHIN, La COMBE, LAURAIN, LE MESLE, LEROUXx-CESBRON, LOYER.

Dans son numéro de septembre-octobre 1902, la Revue des Études Historiques parle de l’Anjou Historique, « qui, à sa troisième année d'existence, s'est classé déjà au premier rang de nos meilleures revues provinciales. »

ABONNEMENT : 6 fr. par an.

S'adresser à la librairie Siraudeau, rue de l'Aiguillerie et rue Montault, Angers,

d

ee Rs, © *

DCer À 72

4/4

Un sauveur d'Angers (1620)

On était en 1620, au moment la guerre civile allait éclater à Angers, entre les partisans de Louis XIII et ceux de Marie de Médicis, sa mère. Dans le moment même la paix se négociait à Angers, entre les deux partis, les troupes du roi, commandées par MM. de Créquy et de Bassompierre, rencontrèrent celles de la reine aux Ponts- de-Cé et les mirent en déroute. Cette attaque, livrée au moment même l’on faisait à la reine des propositions de paix, faillit tout perdre : les princes mécontents, les envieux et les huguenots, dont se composait son parti, lui représentèrent que ces propositions de paix n'étaient qu'un prétexte pour l'amuser et la perdre, et qu'elle devait abandonner ces gens pour se réfugier en Poitou, près des ducs de Mayenne, de Montmorency et d'Epernon. On dé- sarmerait, disaient-ils, la ville d'Angers, on en ferait sortir les filles et les femmes, et on abandonnerait la ville au pillage. Ce conseil malheureux allait être suivi ; une partie des hommes avaient même été désarmés ; mais quand on en vint à commander aux femmes de sortir hors des murs, - il s’éleva de toutes parts des cris. |

A ce moment apparut un homme demeuré célèbre : il avait déjà fait signer la paix, que l'attaque des Ponts-de- allait faire rompre ; 1l accourt de nouveau près de la reine, lui parle avec force, la menace avec une fermete tout apostolique des colères de Dieu et de la haine des hommes. Richelieu lui-même se laisse toucher ; il fait surseoir à l’ordre donné de perdre Angers, et bientôt, dans leur joie et dans leur reconnaissance, les habitants de la ville sauvée décernèrent publiquement à leur libé- rateur le surnom de Sauveur d'Angers.

Ce sauveur se nommait Joseph-François Leclerc du

104

+

Tremblay, dit Père Joseph ou Eminence Grise, capucin, fondateur du Calvaire d'Angers (1).

Pouancé (XVIIIe et XIX° siècles)

Le prieuré de la Madeleine de Pouancé dépendait de l'abbaye de Marmoutier. Il élait à la nomination du roi. Ce prieuré parait avoir été établi en 1094. En cette année Gautier le Haï et sa femme Basilie, étant dans leur château de Pouancé, dotent richement Îles religieux chargés de desservir l’église de la Madeleine. Dans cette donation sont compris notamment un de leurs étangs, la dime du poisson qui sera pêché dans les autres, le bourg se tient le marché, une rue, un four, le droit de prendre du bois de chauffage et de construction dans leurs forêts. Enfin, les donataires exemptentles sujets des moines de toutes coutumes, même du service militaire, excepté quand le seigneur de Pouancé sera attaqué.

De tuus les documents relatifs au prieuré de Pouancé (il y en a 121 aux archives de Maine-et-Loire), le plus curieux est le mémoire adressé, en 1701, à l'abbé de Villiers, par le procureur qu'il avait délégué (2) pour prendre possession du prieuré dont il venait d'être pourvu après la mort de l'abbé le Pelletier :

Pouancé a été autrefois une forteresse de conséquence. Six ou sept tours qui composent le château, à l'exception

de Jeurs dedans, sont dans leur entier. Il est bâti sur

l'angle d'une colline, escarpé naturellement, et cela sur un ruisseau qui sépare l’Anjou de la Bretagne,

Dans l'avant-cour du château a été bâtie la ville, qui consiste dans une seule rue, sans aucune autre petite ruelle ou allée, et en une petite place dans laquelle est bâtie la

(1) La bataille des Ponts-de-Cé eut lieu le 7 août 1621) {Anjou Historique, mars-avril 1902). |

Le 11 août 1620, eurent lieu de grandes fêtes à Angers à l’occasion de la réconciliation de Louis XII et de Marie de Médicis (Anjou Historique, juillet- août 1902. |

(2) Robert Gaudin, prieur commendataire du prieuré des Trois-Maries de la Rouaudière,

ne mp ee CH me

ne

halle qui l’occupe entièrement. Tant pour entrer dans le château que dans cette grande ville, il n'y a que deux portes.

Les seigneurs et les peuples qui ont été autrefois les maitres de ce domaine, n'avaient pour divinité que le soleil. Ce qui me le fait juger. c’est qu’il n’v a ni église ni chapelle dans cette enceinte. MM. de Brissac en ont été seigneurs. Présentement, c’est M. le maréchal de Villerov.

Cette magnifique ville n'a de dehors bâti que d’un seul côté, qui est un petit faubourg fortifié seulement d’un fossé profond et large. Dans ce faubourg est bâti le prieuré de la Madeleine, et devant l'église est une place assez rai- sonnable.

L'église de la paroisse est à un petit quart de lieue et sous l’invocation de Saint-Aubin. Elle est accompagnée de cinq ou six maisons. Le seigneur de cette église est M. de la Forêt d’Armaillé, conseiller dans la Grande Chambre de Paris. La cure vaut au moins 1.500 livres. Elle à huit prêtres, dont l’un est votre aumônier ; un autre est l’au- mônier de la prison. Pouancé est une entrée de France, et fort souvent on y arrête des faux sauniers.

Dans cette paroisse, il y a une très belle et grande forêt, qui appartient à M. de Villeroy pour en consommer le bois. À un demi-quart de lieue de Pouancé il y a des forges.

L'église de Samt-Aubin, la paroisse, est très incommode. pour les habitants et bourgeois de la ville de Pouancé, dans la situation je vous la fais connaitre. C'est ce qui a fait, et je ne sais comment, que tous les babitants se jettent dans votre église. On y a établi la dévotion du Rosaire, un tabernacle, une lampe ardente, des bancs, une chaire à prêcher. On y dit plusieurs messes par jour; on y chante des vêpres, les dimanches et les fêtes. Enfin les habitants demandent qu’on y établisse un curé et qu'on le loge dans la maison du prieur. [l y a du temps qu'ils en

D

ont parlé à Monseigneur d'Angers, qui le leur a proinis. On m'en a parlé : je dis que je crois que vous y donnerez les mains, à cette condition seule que vous donnerez votre église et que les habitants se chargeront des réparations, logeront leur curé, lequel curé acquittera ou fera acquitter gratis les trois messes par semaine que vous devez, qu'ils vous donueront 1.000 livres pour employer en un fond pour indemniser le prieur, et que quatre des habitants, à votre choix, s’obligeront que jamais ce curé ne pourra, ni à vous ni à vos successeurs, demander de portion con- grue. |

M. de Villeroy travaille aussi à cela, afin d'être seigneur de cette paroisse, parce qu'il se dit fondateur du prieuré ; mais je crois que je pourrai vous faire connaitre qu'il en est le destructeur. Du prieuré doivent dépendre deux

moulins, l’un à blé, l’autre à tan, qui font la fondation et

dotation dudit prieuré. Dans toute l’apparence, le seigneur de Pouancé s'en est emparé, pour faire aller ses forges, soit par bail emphytéose ou par aliénation.

L'église du prieuré de la Madeleine est grande et belle. Il ya cinq autels. Le maltre-autel est bâti nouvellement et à la moderne. On a établi dans cette église une con- grégation du Rosaire. Le tableau de dessus le grand autel en représente l’histoire. Le duc de Brissac d'alors y est peint, et ses armes sont dans le tableau et dans la masse de l'autel. L

L'église est couverte d’ardoise. Le clocher n’a jamais été parachevé. Il est accroupi et couvert par quatre pans. Il n'a point d'ouvertures. Je crois qu'il a été bâti ainsi afin de ne point commander à la place. Il y a deux cloches dedans, qui ont le son assez gros. Le dessus du maitre-autel et la croix sont voûtés. La nef n’est point lambrissée. Je n'ai point vu la couverture parce que je n’aime pas à faire le métier d’un chat, et je crois que vous n'avez point pré- tendu cela de moi!

OS, Le

Nous empruntons au Journul de Maine-et-Loire l'article suivant publié dans son numéro du 22 avril 1843 (1).

De Combrée nous allâmes à Pouancé, trois choses attirèrent notre attention : les forges, la maison de plai- sance nommée Trecé et les vieilles rüines du château.

Pour dégager le fer de ses parcelles terreuses et le rendre « marchand », trois opérations sont nécessaires ; de là, trois genres d’usine, savoir : le fourneau, la forge et la fonderie. L'eau de magnifiques étangs a été jusqu'ici le seul moteur en règne dans ces trois établissements ; mais on assure que M. Garnier (de Nantes), fermier du marquis de Preaulx, ne tardera pas à employer la vapeur. Suivons maintenant le minerai dans ses transformations. On va le chercher dans le département de la Loire Inférieure, au lieu nommé Rouget, à cinq lieues de Pouancé environ ; rendu en cette dernière ville, il est lavé, puis précipité dans les fourneaux, d’où il s'échappe en lave d’un blanc laiteux. On appelle cela « couler la gueuse ». La matière, ainsi fondue, se froidit dans de petits canaux creusés à cet effet, et présente un fer carhonisé et poreux. Ces « gueuses » ont trois à quatre mètres de longueur sur quinze à seize centimètres de largeur. On les porte à la forge, où, devenues incandescentes, elles sont placées sur des en- clumes que frappent des marteaux monstres ; le bruit qu'ils font s'entend à plusieurs kilomètres de distance ; 1ls sont mus par l'eau des étangs. Le fer, ainsi forgé. passe à la fonderie, autre usine d'où il sort à l'état marchand. L'aspect d’une forge est d'une très difficile description ; le pinceau même aurait peine à saisir les nuances variées des étincelles ; pour bien rendre ces effets, ce ne serait pas trop d'être Rembrandt. Quand nous visitänes la forge située au pied du château de Trecé, elle était silencieuse, car, suivant la naïve expression de l’un des ouvriers, c'était

(1) Nous croyons que cet article est de M. Godard-Faultrier.

_S

« jour de débauche », jour du lundi! Ïl nous apprit cepen- dant que l’usine ne tarderait pas à marcher. Eu effet, quand nous fûmes sur la chaussée, à cet endroit qui s’avance en façon de promontoire dans l'étang, et d'où s'élève une magnifique croix, le bruit des marteaux se fit entendre, bruit étrange qui n'a rien de celui du canon, rien de celui de l'orage, bruit sourd, tantôt lent, tantôt rapide et qui serait effravant dans un rêve. Ce fut bien un autre vacarme, lorsque nous entrâmes dans l’intérieur de la forge. Aux coups mulüpliés du marteau ajoutez le sifflement des soufflets, le pétillement du feu et le murmure de l’eau qui tombe en nappes pesantes sur les roues ; puis avec cela, quel aspect le soir ! De tous côtés du feu, des étincelles, des fourneaux ; puis quelle scène! Autour de vous des hommes en chemises, à figures cuivrées, haletantes, cou- vertes de sueur, des enfants en guenilles, des mères en baillons ; comment refuser l'aumône à ces pauvres familles? Vous leur donnez, elles n’ont que le temps de recevoir, car le marteau une fois en jeu, est insatiable, il lui faut du fer à dévorer, ou sa redoutable dent grince sur l’enclume, vous diriez qu'il a soif du feu et qu'il le rend par les naseaux (1).

Vous quittez l'usine et vous montez ensuite à la maison de plaisance de Trecé! Quel contraste’ Là, c’est une magnifique terrasse à l'italienne, d'où l'œil se promène joyeux et calme sur trois petits lacs dont les eaux, par un beau temps, sont bleues comme le ciel, et le soir légère- ment pourprées. Îci, c'est une orangerie qui, toujours verte et fleurie, se joue des hivers. Ailleurs, c’est une immense volière se pavane le faisan doré, près de l'ara au riche plumage ; puis des salons de verdure, des gazons, des grottes, des avenues qui se perdent dans le feuillage. Le bien-être existe au sommet de la colline, à ses pieds, l’in-

(1) Les forges de Trecé ont été supprimées en 1819.

digence ! Mais le pauvre ouvrier ne frappe jamais en vain à la porte d'en haut.

Vous sortez de Trecé qui, sous le rapport de l'art, n’a rien de remarquable, et vous allez visiter les ruines du vieux château. Les guerres féodales de l’Anjou avec la Bretagne vous reviennent en pensée, les tours délabrées et les courtines qui s'inclinent sur les eaux de l'étang, vous racontent cette histoire. Vous n’y entendez plus les fan- fares des chevaliers, ni le qui vive du guet, niles bruyantes orgies ; mais des cris d’enfants au berceau, des voix de mères qui cherchent à les endormir, des chants joyeux, des prières récitées en commun frappent vos oreilles.

Voyage en Anjou du postulateur de la cause de sainte Chantal (1728)

Jeanne-Françoise Frémiot, née a Dijon en 1572, épouse de Chris- tophe de Rabutn, baron de Chantal. Veuve très jeune, elle renonca au monde ; en 160+, elle connut saint Francois de Sales et se mit sous sa direction ; ayant établi ses enfants, elle entra, en 1610, dans le premier monastère de l’ordre de la Visitation, fondé à Annecy par saint François de Sales, et en devint supérieure. Elle mourut en 1641. Au début du XVIII* sièle on commence à s'occuper de la cause de: sa béatification, et en 1728, le postulateur vint dans le diocèse d'Angers pour le procès apostolique. Dans une lettre adressée, le 12 janvier 1729, à toutes les maisons de l'institut, la supérieure du monastère d'Annecy donnait les détails qui suivent sur le voyage en Anjou du délégué apostolique.

Plusieurs miracles avaient été opérés en Anjou par l’intercession de la Servante de Dieu, Jeanne-Françoise Frémiot de Chantal : cinq très éclatants à Saumur et à l'abbaye de Fontevrault, quelques autres à Baugé et aux

environs. M5° Poncet de la Rivière, évêque d'Angers, avait fait faire

10

les premières enquêtes sur ces miracles, et les procès en avalent été envoyés à Rome. C'est pourquoi la Congrégation des Rites ayant fait choix des miracles qu'on devait sou- mettre à l'autorité apostolique pour la cause de béatifica- tion de notre vénérable Mère, des lettres rémissoriales furent délivrées pour Monseigneur d'Angers, ou en son absence son grand vicaire, quatre dignités de sa cathédrale et deux sous-promoteurs. Le délégué apostolique, M. Favre, du diocèse de Genève, après avoir pris dans le diocèse d'Autun les informations sur les miracles qui s’y étaient opérés par l'intercession de la même Servante de Dieu, prit la route d'Angers. Le 9 septembre 1728, il arrivait à Saumur, il eut la satisfaction de voir en parfaite santé nos deux chères sœurs, qui ont été guéries par l’interces- sion de notre Vénérable Fondatrice, dont l’une est ma très honorée sœur la supérieure Anne-Eugénie Trochon. Ces guérisons se sont maintenues parfaitement et se prouvent par les dépositions d'un grand nombre de témoins ocu- laires.

Étant arrivé à Angers, et étant allé rendre ses devoirs à nos chères sœurs, il fut joint au parloir par M. le comte Ferron de la Ferronnaye, brigadier général de la cavalerie, chevalier de l'ordre de Saint-Louis, qui lui fit l'honneur de lui offrir son logement, sa table et son carrosse pour tout le temps qu'il demeurerait à Angers. Ce seigneur est d’une très 1llustre naissance, mais il est très désabusé des gran- deurs humaines : occupé des œuvres de la plus solide piété, 1l estime moins l'avantage d'être d’une illustre maison et d'être revêtu de grands emplois, que d'être allié à notre Vénérable Fondatrice par Madame sa mère, qui était de la maison de Vouldi. Il conserve précieuse- ment un reliquaire que la Servante de Dieu avait travaillé et qu'elle avait donné à cette dame avec une lettre qu’elle lui écrivit elle la qualifie de nièce. Votre charité entrera dans les sentiments de reconnaissance que nous devons à

11

cet illustre seigneur et à sa chère nièce notre très honorée sœur Anne-Sophie de la Rochebardoul, qui n'a rien négligé pour procurer tous les avantages possibles à notre sainte Cause. C’est à sa considération que M. son frère a voulu faire les frais de M. Favre depuis Angers jusqu'à Rennes.

Monseigneur l’Évêque d'Angers s'étant trouvé absent et retenu à Paris par des affaires importantes à l’arrivée de M. Favre, les lettres rémissoriales furent présentées à M. le grand vicaire. Comme ils sont plusieurs dans ce rang, ils prièrent eux-mêmes un d’entre eux de se charger de la commission. Ce fut M. de Vaugirauld, grand archidiacre de la cathédrale, qui l'accepta, d'une manière à ne pas laisser douter de son zèle pour la gloire de Dieu et l’avan- cement de cette sainte cause (1).

Le 20 septembre, on commença les formalités ordi- naires pour ces sortes de procédures. Le 24 du même mois, on fit choix des juges subdélégués, qui sont : MM. Courault de Pressiat, licencié en l’un et l’autre droit, Pocquet-de-Livonnière, docteur de Sorbonne, Boucault, docteur en théologie, et Du Fresne. On élut ensuite pour sous-promoteurs subdélégués du Saint-Siège, MM. Pasque- raye du Rouzay, docteur de Sorbonne, et Poulain de Tir- lière, docteur d'Angers. Tous ces Messieurs sont cha- noines de la cathédrale, et très distingués par leur vertu et leur capacité. Il fut déterminé que M. le grand vicaire, deux des juges, un sous- promoteur et un notaire aposto- lique se rendraient à Saumur avec deux censeurs pour l'audition des témoins. Ils arrivèrent le même jour et furent reçus avec beaucoup d'honneur par les amis et les voisins de nos chères sœurs, qui avancèrent pour la table les frais nécessaires, dont nous leur avons fait recevoir le remboursement, parce que nous sommes bien instruites qu'elles ne sont pas en état de les soutenir.

(1) M. de Vaugirauld devint plus tard évêque d'Angers (1730-1758).

_— 142

Les dépositions furent terminées dans dix jours par la diligence et assiduité de ces Messieurs, quia vant eu encore connaissance de quelques guérisons miraculeuses opérées à l'intercession de notre Vénérable Fondatrice dans la ville de Baugé s'y rendirent pour en faire les informations juridiques et y furent reçus fort généreusement par M. Le Camus, curé du lieu, et par plusieurs autres personnes (1). De là, 1ls retournèrent à Angers pour terminer les forma- lités, ce qui fut fait vers la fin de novembre. Comme nous ne saurions reconnaitre le zèle et les bonnes manières avec lesquelles ces Messieurs se sont intéressés à la gloire de la servante de Dieu, nous espérons que les grâces qu elle leur procurera suppléeront à notre impuissance.

Le 28 novembre, M. Favre partit pour Rennes et fut reçu le même jour à la Saulaie, château de M. de Vritz, frère de notre très honorée sœur de la Rochebardoul, qui voulut faire les frais du voyage jusqu’à Rennes (2).

Le comte de Romain (4166-1858 (°).

Nous lisons dans des notes dictées à 92 ans par le véné- rable comte de Romain, qu'en 1774, au vieux manoir de la Possonnière, berceau de sa famille, un enfant de huit ans, entré en se jouant dans la chambre de son aïeul, le

trouva baigné de larmes. Attristé et plus étonné encore

d'une douleur qu'il ne pouvait comprendre, il s’approcha

(1) La relation des miracles opérés à Baugé se trouve à la Bibliothèque d'Angers (Mss. 800).

(2) Les fêtes de la béatification de Sainte Chantal ne furent célébrées à Angers et à Saumur qu'au mois de juillet 1:52 (Anjou Historique, juillet- août 190%).

(3) Cet article fut publié le 15 avril 1858 dans l'Union de l'Ouest par le comte Thevdore de Quatrebarbes.

= A

doucement du noble vieillard, quile prit sur ses genoux : « Mon cher enfant, tu me vois pleurer et tu en cherches la cause. Tu me demandes si je suis malade, ou si quelque malheur a frappé notre famille. Ah! plût à Dieu qu’il en fût ainsi, et que ton vieux grand'père eût cessé de vivre! Le Roi est mort, mon enfant ; aujourd’hui la France a perdu son père, et il n’est pas un château, pasune maison, pas une chaumière qui ne soit en deuil. Le Roi, vois-tu, c'est le lieutenant de Dieu sur la terre, c'est le petit-fils de ce grand saint Louis, que tu as appris à prier, c'est le descendant des héros que la reconnaissance de nos pères a surnommé l'auguste, le pieux, le bon, le hardi, le sage, le vic- torieux, le père du peuple, le grand par-dessus tous les monarques de l’univers ; c'est l'image vivante de la patrie qu'ils ont faite pièce à pièce, et couronnée de gloire. » Puis, commençant par nos premiers Rois, il se prit à lui expliquer dans un touchant langage l'histoire de cette incomparable maisvn de France, qui allait avoir pour chef un jeune prince, modèle de toutes les vertus. Alors l'enfant, ému jusqu'au fond de l'âme, promit à son aïeul d'aimer aussi le Roi, de le servir quand 1l serait grand, et de lui consacrer sa vie. L'existence entière du comte de Romain n’a été que l'accomplissement fidèle de cette promesse.

Son noble père, qui avait fait dans le régiment d'Anjou les campagnes de Flandre sous le maréchal de Saxe, avait voué ses deux enfants aux armes. La marine et l'ar- tillerie s'étaient partagé les deux frères. Embarqué comme garde-marine sur le vaisseau Île Vengeur, au début de la guerre d Amérique, l’aîné s'était déjà distingué au combat de Savanah et à la glorieuse prise de la Grenade, lorsque son frère Félix se rendait, à 14 ans, à l'École d’artillerie de la Fère. Reçu lieutenant, après deux années d'étude et un brillant examen passé devant le célèbre La Place, il entrait, en 1779, au régiment de Grenoble, qu'il ne devait quitter qu'à la Révolution.

At =

Dans ses touchants Souvenirs d’un officier royaliste (1), M. de Romain nous à laissé la description de ces pre- mières années de sa jeunesse. L'exemple de ses cama- rades, la liberté d'une vie de garnison ne lui avaient fait oublier ni les principes, ni la pratique chrétienne du toit paternel. Dans cette Ame droite et pure, 1l n’y avait aucune place pour le sophisme impie et les plaisirs coupables. Le seul péril, peut-être, eùüt été le sentiment exagéré de l'honneur, que plus tard il définissait : « Le sentiment par excellence, qui porte l’homme à suivre avant tout le cri

_de sa conscience, à repousser du fond de l’âme et par une

résistance formelle tout attrait des jouissances physiques, à mourir plutôt que d'adhérer à une action basse, crimi- nelle ou injuste, et surtout à n’être Jamais parjure ce qui s'étend non seulement à la parole donnée à l'homme, mais à la parole donnée à Dieu, le plus sacré de tous les enga- gements; » enseignement admirable, adressé à ses enfants, qui devait faire la règle immuable de sa vie.

Metz, Strasbourg, Grenoble et Valence avaient été les premières garnisons du jeune officier. L'envoi en Corse de la batterie qu'il commandait. devint l'occasion d'étendre ses connaissances et de se perfectionner dans la langue italienne. Cette ile nouvellement soumise à la France fut pour lui un ample sujet d'observations. Il la parcourut en tous sens pendant quatre années, occupé de l'étude de son histoire et de ses mœurs. Les pages qu’il nous a laissées

(1) Souvenirs d’un Officier royaliste, contenant son entrée au service, ses voyages en Corse et en Italie, sun émigration, ses campagnes à l'armée de Condé et celle de 1815 dans !n Vendée, par M. de R.., ancien colonel d’ar- tillerie (Paris, tomes 1 et 11, Egron, 1824; tome III, Pihan de Laforêt, 1829, ouvrage dédié par l’auteur à son fils et écrit, comme il l'annonce, uniquement pour ses enfants. La seconde partie du tome III porte une pagination parti- culière avec le titre de Récit de quelques faits concernant la guerre de la Vendée, relatifs seutement aux habitants de l'Anjou qui y prirent part, etc. (248 pages). On y a joint un Appendice aur souvenirs d'un officier royaliste (Angers, Pignet, 1819, 63 pages).

Le comte de Romain naquit à Angers le 15 juin 1766.

_ 15

sur ce pays alors peu connu, sur l'indépendance, la fierté et le caractère de ses habitants, sur leur hospitalité, leurs habitudes sauvages de vengeance, leur esprit de famille, leurs haïines héréditaires et leurs vertus patriarcales, sont pleines d'intérêt et de charme.

M. de Romain était depuis deux années en Corse, lors- qu’un officier d’artillerie entré depuis peu de temps au régiment de la Fère, Napoléon Bonaparte, demanda à lui être présenté : débarqué depuis peu de jours à Bastia pour y passer son semestre, 1l venait à titre de camarade faire la connaissance des officiers de son arme. On le reçut à merveille ; et plusieurs fois M. de Romain l'invita à diner. La conversation très animée n'était cependant pas sans contrainte. Des considérations historiques sur les droits

des nations et leurs griefs contre leurs gouvernements

en faisaient presque seules les frais. Un jour surtout le jeune oflicier se plaiguit avec amertume des obstacles que MM. de Marbeuf et de la Galissonnière élevaient, à son dire, contre la convocation régulière des députés de l'ile. « Le gouvernement ne connait pas mes compatriotes, ajouta-t- il d'un ton la menace se dissimulait à peine. Ïl verra ce qu'ils peuvent. Est-ce que vous tireriez l'épée contre le représentant du Roi, lui répondit-on en riaut, pour être le champion de votre patrie ? » Napoléon n'ajouta aucune parole ; mais il y avait dans son silence même une irrita- tation mal contenue, qu'était loin de motiver l'administra- tion paternelle du gouvernement de Louis XVI.

Avec son cœur de royaliste, M. de Romain comprenait peu les rêves d’ambition d'un sous-lieutenant élevé aux frais du roi. Cependant en passant à Ajaccio, il s'em- pressa de faire visite à la mère de son camarade. Ne pou- vant danser avec ses sœurs trop jeunes pour aller au bal, il Les fit sauter sur ses genoux. « Si J'eusse été mieux avisé sur l'avenir, dit-il gaiement à ses enfants dans ses Mémoires, j'aurais probablement dit à cette mère d’Émpereur et de

Sert TT Cr + ST Se Pt EE 4 sc = À Pt à.

: | 16

Rois avant de la, quitter : Madame, à revoir au palais des Tuileries. Cela m'aurait-valu au moins l'honneur d'être son chambellan. Que sait-on ? C'eût été bien glorieux pour vous, mes chers enfants; et peut-être n'eussiez-vous pas vu votre vieux père refuser plus tard les faveurs qui lui furent offertes pour conserver l'unité de sa vie! »

Un long voyage qui devait laisser bien des souvenirs dans l'esprit de M. de Romain, vint alors faire diversion à la monotonie de la vie de garnison. Depuis longtemps le voisinage de l'Italie lui avait inspiré le désir de visiter ce beau pays. Il profita d'un congé pour s'y rendre. Les lettres adressées à son père, de Rome, de Naples, de Venise, de Florence, de toutes les villes principales d'Ita- lie, sont remplies de détails justes et vrais sur l’histoire, les

mœurs, les monuments et les arts de cette glorieuse

contrée. Elles peuvent se lire avec intérêt, même après toutes nos relations modernes. La douce et sereine figure de Pie VI lui rappelle celle du Christ. Saint-Pierre est avant tout le temple du Dieu vivant ; et le (lolysée, l’au- guste arêne « les glorieux martyrs combattent et triomphent avec ce calme et cette résignation sainte, que la mort de J.-C. peut seule donner. » Le cardinal de Bernis, à qui M. de Romain avait été recommandé, l'avait présenté à Pie VI. Il l’avait accueilli à l'hôtel de l'ambassade avec une rare bienveillance ; un jour qu'il l'avait invité à diner, 1l lui demanda s'il avait reçu des nouvelles de France. « Îl est question, répondit M. de Romain, de la prochaine convocation des États Généraux. Mon jeune ami, reprit le cardinal en lui serrant la main, rappelez-vous ce que je vous dis : Vous ne verrez jamais les États Généraux assemblés, ou, si vous les voyez, c'est la ruine de la monarchie. »

La réunion des États Généraux n'avait pas eu en Corse de retentissement immédiat ; l'ile était tranquille et les régi- ments de la garnison, seuls de l armée française, conti-

ER

RE

nuaient de porter la cocarde blanche, lorsque l’arrivée d'émissaires du trop célèbre Salicetti, membre de l'Assem- blée Constituante, jeta à Bastia des semences d'agitation. La présence de Napoléon Bonaparte ne fut pas étrangère à ces désordres, augmentés encore par la faiblesse du gouverneur. Bientôt les émeutiers dictèrent la loi à M. de la: Galissonnière. [Il accepta de leurs mains la cocarde tricolore, l'imposa peu de jours après aux troupes sous ses ordres, laissa envahir la citadelle et piller l'arsenal par une garde nationale improvisée. Vainement, officiers et soldats frémissaient d'indignation et voulaient repousser la force par la force. Un ordre insensé leur défendit de faire usage de leurs armes.

C'est à cette époque | janvier 1790), quand la tranquillité parut rétablie, que M. de Romain quitta la Corse pour retourner à Valence, son régiment tenait toujours gar- nison. Une scène sanglante l'attendait à son arrivée.

Le vicomte de Voisin commandait la citadelle. Sachant qu'une agitation inusitée régnait dans la ville, il crut devoir augmenter d'une compagnie sa petite garnison et distribuer quelques paquets de cartouches. Cette mesure de prudence exaspéra les révolutionnaires, ils se mélèrent aux soldats et leur soufflèrent l'esprit d'insubordination et de révolte. La mise à la salle de police d’un artilleur, qui avait déclaré qu'il ne ferait jamais feu sur le peuple, qu'il lui ouvrirait plutôt les portes de la citadelle et baisserait le pont-levis, fut cause de l'explosion. Surpris à l'improviste par l'invasion de la garde nationale et du peuple, abandonné par ses soldats, le sénéral est massa- cré dans la cathédrale, non loin du maire et des officiers municipaux, témoins impassibles sinon complices de cet assassinat. M. de Romain, accouru des premiers, est attaqué par une bande de sicaires : il se défend héroïque- ment, avec quatre de ses camarades, dans une maison il avait cherché un refuge. Poursuivis de chambre en

2

= T8

chambre, armés seulement de leurs épées, ils ne pensent qu’à prolonger leur résistance. En les voyant dans ce péril, une dame de Valence, qui habitait en face, veut leur jeter les pistolets de son fils à travers la rue. « Grâces vous soient rendues, Madame, mais le peuple vous verrait, répond M. de Romain en fermant la fenêtre, et il est inutile d'augmenter le nombre des victimes. » Enfin Îla dernière porte tombe sous les efforts de la foule. A la vue de ces jeunes gens, l'épée à la main. calmes devant la mort et résolus à vendre chèrement leurs vies, les massa- creurs s'arrêtent : « Celui que nous cherchons n’est pas icl », crie un homme qui voulait les sauver. Bientôt les gardes nationaux entrent dans la maison, suivis de quelques artilleurs honteux de leur conduite. Tous ensemble offrent au peuple de garder les prisonniers. Mais un autre spectacle attirait ses regards : le cadavre de M. de Voisin était traîné dans les rues: son sang. tiède encore, avait été recueilli dans des bouteilles, et des cannibales y rougissaient leurs lèvres en dansant une farandole interrompue par des hurlements dignes de l'enfer. Les misérables qui menaçaient M. de Romain de leurs poignards, avaient hâte de se mêler à la fête. Ils consentent enfin à laisser les cinq officiers entre les mains des gardes nationaux. Le lendemain ces derniers les met- taient en liberté.

Les liens de la discipline. militaire étaient à jamais rompus et aucun châtiment ne suivit celte hideuse émeute. Vainement un rapport fidèle fut envoyé au Ministre de la Guerre et à l'Assemblée nationale. |

La fète de la Fédération, qui eut lieu le 14 juillet 1790, fut suivie de quelques mois de calme. M. de Romain en profita pour revenir en Anjou. Devenu fils unique par la mort prématurée de son frère et de sa sœur, il avait hâte, après une longue séparation de quatre années, d’embrasser son vieux père. Les cloches de la Possonnière saluèrent de

19

leur carillon l’arrivée du jeune officier. « À ce son depuis longtemps inusité, et après les scènes révolutionnaires dont J'avais été témoin, Je crus d’abord, nous dit M. de Romain, à une émeute en miniature. Il n’en était rien cependant ; et le bon curé voulait tout simplement fêter mon retour. C'est le dernier petit honneur féodal que j'aie reçu, et même qu’il eût été impossible de me rendre plus tard, car, à mon retour d'émigration, cloches, église et clocher avaient disparu sous le marteau révolution- paire. |

La constitution civile du clergé venait d'être proclamée ; et pour en assurer l'exécution et les rigueurs, le serment d'obéir aux lois de l'Assemblée nationale avait été demandé à tous les officiers de l'armée. Ce dernier avait jeté les royalistes dans la plus grande perplexité. Mis dans l'alternative de briser leur carrière ou de devenir les exé- cuteurs d'une Constitution impie, les complices de toutes les répressions qui suivraient les résistances, devaient-ils déposer leurs épées, quand leur retraite laissait le roi isolé au milieu de ses ennemis ? Sous le poids de mille réflexions contraires, M. de Romain hésitait à prendre un parti, lorsqu'un mot touchant d'une tante qui l’avait élevé, fixa son irrésolution. « Tu vas retourner à ton régiment, mon cher ami, lui dit-elle. Dis-moi, comptes-tu faire le serment nouvellement décrété? » Comme M. de Romain gardait Le silence : « Du moins, ajouta-t-elle en lui serrant la main, n'oublie jamais que je t'ai tenu sur les fonts du baptême et les promesses que j'ai faites pour toi. »

Le départ de Louis XVI et son arrestation à Varennes rendirent irrévocable la détermination de M. de Romain. IL s'était hâté de rejoindre son régiment, et n'avait pas caché à son colonel la résolution inébranlable de refuser un serment le nom du Roi, chef naturel de l’armée, était remplacé par celui de l’Assemblée nationale. Nommé à 24 ans capitaine eu second, 1l avait trouvé dans sa com-

90 =

pagnie le lieutenant Bonaparte, nouvellement sorti du régiment de la Fère, affilié déjà au club de Valence. Leurs rapports furent très froids et se bornèrent à quelques détails de service. Bientôt vint le Jour de prêter le fatal ser- ment (1), le sort en était jeté. M. de Romain quitta Valence et sc rendit directement à Genève.

M. de Romain, sans s'arrêter à Genève, se dirigea immédiatement sur Worms, le prince de Condé avait établi son quartier général. Cette ville, plus encore que Coblentz, était le rendez-vous de l’émigration militante. On y voyait confondu dans un même dévoment des officiers de tous les corps et de tous les grades de l’armée, des capitaines de vaisseau et des chefs d'escadre, des généraux octogénaires comme le comte de Turpin, de courageux magistrats qui avaient échangé leur toge contre un mauteau de guerre, et des enfants comme le chevalier de Parcé ayant à peine la force de porter une épée qui recevaient à leur premier combat douze ou quinze coups de sabre pour la défense de leur drapeau. Tous, nobles et bourgeois, avaient abandonné leurs manoirs, leurs carrières, leurs propriétés, leurs familles, et étaient accourus à la voix des princes frères de leur roi captif, légers d'argent et riches d'honneur, dans l'espérance de combattre la Révolution et d'arracher la France de l'abime. En attendant l'entrée en campagne, cantonnés sur les bords du Rhin, couchant par chambrées, presque toujours sur la paille, 1ls mangeaient gaiement à la gamelle et vivaient à 12 sols par jour. Il faut lire dans les Souvenirs d'un officier royaliste ces curieux détails sur la

(1) Je jure d'ernployer les armes remises en mes mains à la défense de la patrie et de maintenir contre tous ses ennemis du dedans et du dehors la consüutution décrètée par l'Assemblée nationale; de mourir plutôt que de souttrir l'invasion du territoire français par des troupes étrangères : et de u'obéir qu'aux ordres qui seront donnés en conséquence des décrets de l’As semblée nationale {Décret du 92 juin 1791).

—_ 94

vie des premiers compagnons du petit-fils du grand Condé. Si quelque pauvre émigré se trouvait sans ressources, le prince, comme au temps des Croisades, partagealt sa bourse avec lui. Sa cour se confondait avec son camp, d'où étaient bannies la politique de salôn, l'ambition et l'intrigue. Nul sacrifice ne lui coùtait pour l'entretien de son armée. Plus tard il devait lui abon- donner successivement son argenterie, sa solde et jus- qu'aux diamants de sa fille, la princesse Louise.

De capitaine au régiment de Grenoble, M. de Romain était devenu fourrier dans la compagnie formée par les officiers d'artillerie. Chargé en cette qualité de préparer les logements de Worms à Ettenheim, il s'était mis galement en route, le sac sur le dos. Trois livres, compo- sant toute sa bibliothèque, le Manuel du chrétien, le Manuel d'artillerie et une grammaire allemande, avaient été ajoutés à son petit bagage. Îl commençait ainsi cette vie d'abnégation, de dévoñment et de sacrifices, qui devait durer neuf années. |

Nous n avons point à faire ici l’histoire de cette noble et vaillante armée, qui, sous les ordres des irois Condé, étonna l'Europe par des prodiges de fidélité et d'héroïque constance. Restée seule après le licenciement des armées des princes de Condé et de Bourbon, image vivante et fidèle de la monarchie errante, elle fut avec la Vendée la plus éclatante protestation armée contre la Révolution. Belheim, Jockrim, Weissembourg, Berstheim, Offembourg, Oberkamluch et cent autres combats la couvrirent de gloire. Son sang,sans cesse renouvelé par le dévouement, teignit tous ses drapeaux. Elie put